Le yachting français

Les somptueuses bougies d’anniversaire du yachting français

Tandis que la Société Nautique de La Trinité-sur-Mer (SNT) fêtait ses 140 ans d’existence le week-end dernier, d’autres yachts clubs de France organisent ci-et-là des festivités anniversaires avec un nombre de bougies en plus ou en moins que sur le gâteau trinitain. L’occasion était trop belle pour Dominic Bourgeois de nous dresser un historique du yachting français digne de telles festivités.

À la fin du 19e, le yachting est en effervescence dans le monde entier. Et en France en particulier avec l’arrivée du chemin de fer, le mouvement pictural impressionniste, le développement du tourisme, le basculement des grandes manufactures vers les usines, la révolution démographique.

Bref ce « siècle de l’Europe » se tourne vers la mer, non plus comme outil de découvertes de nouveaux mondes, non plus comme support du commerce entre colonies et empires, non plus comme fournisseur de fruits de mer, mais comme paysage bucolique et comme élément naturel de loisirs. La voile prend son envol !

À cette époque reculée (mais pas tant que cela finalement), la plaisance n’existe pas ou très peu car il faut attendre le début du 19e siècle pour que la bourgeoisie s’intéresse à la mer autour de quelques aristocrates nantis. Et c’est dans ce contexte que certains propriétaires arment des voiliers, à l’origine plutôt destinés à la pêche ou au fret, parfois des bateaux-pilotes réputés pour leurs performances. Mais de fait, ces nouveaux riches doivent aussi employer un équipage et même un capitaine pour mener ces yachts qui n’en ont encore que le nom.

 

Les Irlandais furent les premiers à créer un club nautique !

Les yachts clubs commencent alors à se disséminer dans le monde après le Royal Cork Yacht Club, le plus ancien, né en 1720 en Irlande… Suivi par le Royal Thames Yacht Club à Londres en 1775, le Royal Yacht Squadron de Cowes en 1819, la Société des Régates du Havre en 1838, le New York Yacht Club en 1844, le Cercle de la Voile de Paris en 1858, le Royal New Zealand Yacht Squadron en 1859, le Yacht Club de France en 1867, la Société Nautique de Genève en 1872…

Gustave Caillebotte aura marqué son siècle lui aussi, le XIXe, avec ses toiles impressionnistes et son chantier de renom. | VOILES ET VOILIERS N° 287 – JANVIER 1975

Bref, dans le monde entier, le yachting commence à se développer et tous les abris, ports, rivières et havres deviennent le rendez-vous chic de la classe dominante. Car il faut tout de même un portefeuille bien fourni pour armer un voilier, le plus souvent un navire inspiré des plus rapides bateaux de pêche.

 

Les premiers yachts ressemblaient fort à des navires de pêche

En ces temps immémoriaux (mais pas tant que cela finalement), le chemin de fer fait aussi son apparition avec dès février 1823, la première concession en France par le roi Louis XVIII entre Saint-Étienne et Andrezieux. Et en 1839, plus de dix mille spectateurs assistent aux premières régates organisées devant le Havre !

La Trinité-sur-Mer accueille nombre de manifestations nautiques et de voiliers de course, à l’image de Paul Ricard d’Éric Tabarly lors du premier Trophée des Multicoques en 1980. | DOMINIC BOURGEOIS

L’arrivée du train jusqu’au cœur de la ville normande en 1847 va booster la « plaisance » et deux années plus tard, c’est le nouveau Président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte qui vient en personne souligner l’importance de cette nouvelle activité sportive. Parallèlement, Cancale organise aussi des régates dès le 31 août 1845, essentiellement avec des bisquines.

 

Des clubs nautiques se fondent dans tous les ports de France

De même dès 1857 lorsque le chemin de fer dessert la ville, La Rochelle organise des courses de voiliers avant de fonder la Société des Régates de La Rochelle (SRR) en 1860. Et l’engouement est tel dans presque tous les ports de France (Vannes, Brest, Rouen, Bordeaux, Paris, puis Royan, Fouras, Arcachon, Nantes, Marseille…) qu’une revue nautique est diffusée à partir du 16 mars 1878, tous les samedis : Le Yacht.

Compte-rendus des courses, calendrier des régates, plans de barque ou de chaloupe, chansons de marins, dessins de Gallard-Lepinay et eaux-fortes du lieutenant de vaisseau Pâris, marquent l’incroyable développement de la course à la voile en France.

Les Jeux Olympiques de 1900 ont boosté le yachting

En 1896, Athènes accueille les premiers Jeux Olympiques mais la voile n’y est pas représentée, faute de combattants… Il faut donc attendre 1900 et les JO de Paris, encouragés par l’énergie du baron Pierre de Coubertin, pour que le yachting y fasse son apparition. Les petites unités étant rassemblées à Meulan, sur la Seine, sous la houlette du Cercle de la Voile de Paris, quand les rassemblements de grandes unités de la jauge Godinet (créée en 1892 par l’Union des Yachts Français), de 10 à 20 tonneaux, ont lieu au Havre sous la direction de la Société des Régates du Havre.

Un an auparavant, la Coupe Internationale du Cercle de la Voile de Paris s’était déroulée sur le plan d’eau de Meulan le 2 mai 1899. Elle fut remportée par Eugène Laverne sur Bélouga, devant le voilier anglais Vectis. Cette coupe dessinée par le bijoutier Robert Linzeler et réalisée par Bratiau en argent massif, deviendra la One Ton Cup en 1965…

 

Avec la Jauge Internationale, la course à la voile prend son essor

Depuis la Coupe de l’America qui a « traumatisé » le yachting britannique en 1851, la plaisance connaît un essor mondial et les yachts clubs de plus en plus nombreux en Europe et aux États-Unis, ne manquent pas d’attirer les compétiteurs de tous bords pour en découdre sur leurs plans d’eau. Mais quasiment chaque nation maritime a sa propre jauge : les Français affectionnent les « Tonneaux » (1877-1899), les Suisses la jauge « Godinet » (1892), les Allemands la « Sonderklasse » (1899), les Américains « l’Universal Rule » (1903), les Scandinaves les « fin-keels », les Britanniques la « Second Linear Rating Rule » (1898).

Enfin après bien des débats, les délégations de onze pays se retrouvent à Londres les 12 et 13 juin 1906 pour entériner une nouvelle réglementation, la Jauge Internationale, et créer une association capable de gérer la voile internationalement, l’IYRU (International Yacht Racing Union, devenue ISAF puis aujourd’hui World Sailing). De ces nouvelles règles vont se décliner moult yachts prestigieux, dont certains naviguent encore : 12mJI, 8mJI, 6mJI… tandis que les monotypes se créent tous azimuts.

 

La Bretagne à la pointe du développement du yachting

En 1883, le yachting prospère et profite à plein des innovations technologiques : à Nantes, la Société des Régates Nantaises est en effervescence. Nombre de navires déjà très orientés vers la compétition voient le jour dans les chantiers voisins de Guibert (Farfadet), de Pihier-Géraudière (Ventolier), de Baudet (Mimi), de Cochard & Desveaux (Selika, Libellule, Capricieuse), de Jollet & Barbin (Fantôme, Bécassine, Armorique), de Dubigeon (Viviane, Vétille), d’Alleau (Simone), de Blasse (Vézon)… bien souvent immortalisés par les croquis de Charles Leduc, peintre du yachting et du commerce nantais, lui-même propriétaire du trois-tonneaux Namouna.

Le « Vétille » des chantiers DUBIGEON était exposé au dernier Nautic de Paris. | NICOLAS FICHOT

La Bretagne compte en cette année, 108 yachts soit 33 % de la flotte française ! Et quatre ans plus tard, ce sont 256 yachts de plus de quatre tonneaux qui sillonnent les plans d’eau bretons…

 

La Trinité-sur-Mer se dote d’un yacht club dès 1879

Pendant ce temps, la nouvelle commune de La Trinité-sur-Mer, créée en 1864, est desservie par le train de Plouharnel dès 1882. Or c’est quelques années plus tôt, en 1879, que Pierre Le Goff et quelques autres notables de la région imaginent le premier club nautique trinitain, la Société des Régates de La Trinité-sur-Mer !

Et si l’article premier indique que sa volonté première est : « d’encourager et de développer le goût de la navigation de plaisance maritime et de favoriser les progrès des constructions françaises… », il faut se souvenir que les yachtmen de ce siècle finissant considèrent « comme Canot ou Chaloupe de plaisance, toute embarcation non inscrite en pêche… Ils appareillent au coup de canon, mouillés sur les ancres, voilure basse et amures libres. »

Les régates trinitaines étaient à l’origine animées par des bateaux de pêche armés à la plaisance. En arrière-plan, le premier pont de Kerisper, une structure Eiffel terminée en 1901.

Il est bien loin le temps où La Trinité-sur-Mer n’était qu’un petit village ouvert sur la rivière de Crac’h. Au centre en 1955, la criée qui fut plusieurs fois reconstruite d’abord en bois, puis en dur à partir de 1923, pour fermer le « vieux port ».
La marina de La Trinité-sur-Mer accueille désormais plus de deux milles bateaux de plaisance entre les pontons de la SNT, le « vieux port », la marina du cours des quais et la darse Nord. Au fond, le deuxième pont de Kerisper refait en 1958 et révisé en 2017.

Ce qui signifie déjà que les plus malins sont apiqués sur leur ancre et que les voiles sont bien prêtes à envoyer… Le yacht-club d’alors est encore une masure dans ce village plutôt orienté vers le commerce du bois, la pêche à la journée et l’ostréiculture en plein développement, en particulier en rivière d’Auray qui ouvre ses premières concessions dès 1863. Les premières régates concernent avant tout des bateaux de pêche revus et corrigés, car il y a dans les environs moult chantiers navals qui construisent des Sinagots, des cotres, de petits langoustiers voire des goélettes de commerce.

Le Président de la SNT célèbre cet anniversaire

Alors le 12 octobre 2019, Antoine Croyère, Président de la Société Nautique de La Trinité-sur-Mer conviait les représentants de la nation (députés, conseillers départementaux, représentants des communautés de communes, maires…) et du sport (FFVoile), les membres du conseil d’administration de la SNT et du club, ainsi que nombre de personnalités morbihannaises, à découvrir le nouvel espace du yacht-club dans la zone de Kermarquer.

Un local technique qui doit aussi servir aux réunions et aux cours météo-stratégie. Le Président en a profité pour rappeler que les Français ont raflé cet été 2019, toutes les séries de la Rolex Fastnet Race à l’exception de la classe IRC-0 et que tous ces skippers étaient membres et/ou licenciés à La Trinité-sur-Mer. Comme nombre de coureurs de renom : Francis JoyonThomas CovilleYves Le BlevecYoann Richomme, Tom Laperche…*

Voiles et Voiliers.