Albatros espions

Compagnons de voyage des navires glissant sur les gouffres amers, ils ne seront plus indolents. Si tant est qu’ils l’aient jamais été, n’en déplaise au poète. À partir de ce mois de novembre, des albatros vont être équipés de balises détectant les radars.

 

À elles seules, elles couvrent 2 070 356 des 10 756 129 kilomètres carrés des eaux françaises(en incluant les extensions du plateau continental en vigueur). Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) de l’océan Indien – îles Crozet, archipel Kerguelen, île Amsterdam et île Saint-Paul -, valent à la France son second espace maritime le plus vaste, après la Polynésie française, les deux entités permettant à notre pays de talonner les États-Unis pour le titre de premier état maritime du monde (en superficie).

Cette zone gigantesque des TAAF (cinq fois et demie l’espace maritime de la métropole, Corse comprise) est riche en poissons (essentiellement la légine) et bien d’autres ressources potentielles. Elle doit aussi être protégée puisqu’elle accueille à elle seule 16 % de la surface des aires marines protégées françaises (ou 36 % de la Zone économique exclusive des TAAF) (lesquelles TAAF viennent de mettre en ligne une consultation du public pour leur plan de gestion 2018-2027 : on peut le consulter et l’annoter ici, jusqu’au 14 novembre 2018) .

Le sauvetage du Tabarly indien Abhilash Tomy – ici photographié par un avion de la Navy indienne -, a été réalisé par l’Osiris. | Indian Navy/GGR/PPL

Sa surveillance est ainsi dévolue aux satellites européens Sentinel et, au départ de La Réunion, à des bâtiments de la Marine nationale, plus un patrouilleur des Affaires maritimes. Jusqu’à ce mois d’octobre 2018, il s’agissait de l’Osiris qui avait d’ailleurs été confisqué à un armateur espagnol en 2003, pratiquant une pêche illégale dans le secteur. Ce navire a conclu sa dernière mission de la plus belle des manières en portant secours à deux concurrents de la Golden Globe Race (voir Voiles et voiliers de novembre 2018). Il est désormais remplacé par l’ancien palangrier Île de La Réunion .

Cependant, tout cela est coûteux et insuffisant. D’où l’idée du Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de mettre à contribution les albatros. En l’occurrence le grand albatros qui est une espèce particulièrement menacée par la pêche à la palangre. Ceci explique l’implication du CEBC dans la lutte contre la pêche sauvage qui ne prend pas les mêmes précautions que la pêche validée pour épargner les oiseaux. Outre sa très grande longévité (il peut vivre jusqu’à 70 ans), le grand albatros présente l’avantage d’avoir la capacité de voler – et surtout de planer – sur de très longues distances (jusqu’à près de 11 000 milles en 15 jours).

Des îles Crozet (au Sud-Ouest) à l’île Amsterdam (au Nord-Est), il y a près de 1 300 milles ; et près de 800 milles entre chacune et Kerguelen (diagonale de l’écran = 1 320 M). | MaxSea Time Zero / MapMedia

Après des essais concluants lors du précédent été austral, dès ce mois de novembre et jusqu’en mars prochain, 150 balises (70 grammes) vont être posées sur des albatros de Crozet, Kerguelen et Amsterdam (10 à 12 kilogrammes), comme l’a expliqué à l’Agence France Presse le spécialiste Henri Weimerskirch qui est directeur de recherche au CEBC. Ce programme Ocean Sentinel bénéficie d’une subvention de 150 000 euros de la Commission européenne pour cette première tranche.

De fabrication néo-zélandaise, les balises sont équipées d’un détecteur de radar portant à 5 000 mètres, si bien que la balise transmettra sa position chaque fois que le détecteur se déclenchera, position qui sera connue dans la demi-heure suivante. Dans ces mers lointaines où tout navire de pêche doit être autorisé à l’intérieur de la Zone économique exclusive (ZEE), l’objectif est de vérifier s’il est normal ou non qu’un bâtiment se trouve sur zone. Dans la négative, la position sera communiquée aux autorités.

Cela suppose quand même que le radar soit actif ce qui est à mon avis un présupposé un peu rapidement acquis par les initiateurs du projet… Par rapport à ce que l’on constate de visu en mer, l’Automatic Identification System (AIS) est loin d’être le seul à être éteint par quelques-uns et il est d’autant moins exclu que des pêcheurs clandestins prennent le risque de faire la même chose avec leur radar dans ces zones peu fréquentées… qu’ils sont désormais prévenus de l’existence de ce programme ! Plus que jamais, certains hommes d’équipage pourraient être tentés de s’amuser avec les princes des nuées.

O.C.